Trump 2.0 : retour au tout-pétrole ?

Donald Trump n’a pas fait mystère de sa volonté soutenir le pétrole. La politique énergétique américaine va t-elle radicalement changer ? Et est-ce qu’il faut jouer principalement le secteur pétrolier au détriment de la thématique de la transition énergétique ?
Nous avons interrogé un spécialiste du secteur des Matières Premières, Benjamin Louvet, directeur des gestions de matières premières chez Ofi Invest Asset Management.

Un retour aux heures glorieuses du pétrole ?

Vincent Bezault : Le mot d’ordre, on le connaît, c’est « Drill, baby, drill », autrement dit, il faut forer. C’est une exhortation adressée aux entreprises pétrolières américaines. Avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, est-ce que, finalement, on ne va pas revenir aux heures glorieuses du tout-pétrole ?

Benjamin Louvet : C’est une vaste question et une question difficile. Alors, la première chose que je voudrais dire, c’est qu’il faut avoir conscience d’une chose : la position de Donald Trump est une position assumée de soutien à l’industrie pétrolière et à la production d’énergie fossile en général, et de pétrole et de gaz en particulier.

Mais la position du gouvernement précédent était une position moins assumée, mais tout aussi pro-pétrole. Il faut savoir que, sous l’administration Biden, la production de pétrole aux États-Unis a augmenté de 2 millions de barils par jour. Donc, il n’y a pas eu de frein à la production pétrolière. Bien au contraire, il y a même eu du soutien.

Alors, effectivement, ils ont sanctuarisé certaines zones d’exploration qu’ils ont voulu protéger. Mais Kamala Harris l’a rappelé dans le débat qu’elle a pu avoir avec Donald Trump pendant la campagne présidentielle. À un moment, la question s’est posée de donner des licences d’exploration supplémentaires aux compagnies pétrolières américaines sur le territoire américain.

Cette question a été soumise au vote au Sénat et a abouti à un résultat nul, autant de voix pour que de voix contre. Dans ces cas-là, c’est le vice-président qui doit départager. Or, la vice-présidente était Kamala Harris, et elle a voté en faveur de l’extension des licences d’exploration pour les compagnies pétrolières.

Il faut donc bien comprendre que la politique pro-énergies fossiles de Donald Trump est en fait une continuité, mais cette fois-ci assumée beaucoup plus fortement, d’une politique pro-énergies fossiles qui est présente aux États-Unis depuis bien plus longtemps. Première chose importante : pourquoi Donald Trump veut-il faire cela ?

Il le veut parce que le sous-sol américain est d’une richesse extraordinaire en matière d’énergies fossiles, ce qui confère à son pays un avantage concurrentiel absolument considérable. Prenons un seul exemple : Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie, le disait encore récemment, aujourd’hui, le prix du gaz aux États-Unis est cinq fois moins élevé que le prix du gaz en Europe.
Évidemment, pour tout ce qui est process industriel, cela fait une différence absolument phénoménale et cela donne un énorme avantage aux producteurs américains.

Donald Trump n’est donc pas prêt à s’asseoir sur cet avantage concurrentiel, et c’est ce qu’il exprime avec son mantra. Il y a là une volonté de préserver cet avantage stratégique.

Trump 2.0 : Les énergies renouvelables seront-elles sacrifiées ?

Vincent Bezault : Est-ce que, pour autant, il ne peut pas y avoir une volonté de conserver un certain soutien aux énergies renouvelables ?

Benjamin Louvet : C’est une vraie question qui peut se poser.
Si je reprends, à l’époque de Joe Biden, les démocrates avaient une politique en façade très pro-transition énergétique et énergies renouvelables, avec une communication beaucoup moins axée sur les énergies fossiles. Pourtant, ils faisaient avancer les deux, puisque la production pétrolière a continué à progresser et que, dans le même temps, ils ont aidé au développement des énergies renouvelables.

Aujourd’hui, Trump veut accélérer sur la partie des énergies fossiles, mais veut-il pour autant ralentir sur les énergies renouvelables ? Je n’en suis pas complètement convaincu.
D’abord, parce que pendant la campagne, dans ses déclarations, il a clairement dit qu’il ne voulait pas avoir une éolienne dans son champ de vision. Mais il a aussi déclaré qu’il était fan du solaire, par exemple.

Vincent Bezault : Oui, il l’a répété à plusieurs reprises.

Benjamin Louvet : La question qui se pose est donc la suivante : Trump ne va-t-il pas plutôt réorienter les mesures de subvention plutôt que de les supprimer complètement ? Il les a supprimées pour les véhicules électriques. Il va probablement les supprimer pour l’éolien, un secteur déjà en difficulté, car beaucoup plus sensible à la hausse des taux que le secteur photovoltaïque.
Mais peut-être les augmentera-t-il pour d’autres secteurs, comme le photovoltaïque justement, ou encore la capture et la séquestration du carbone, qui sont des éléments importants, notamment si l’on utilise du pétrole.

Vincent Bezault : D’ailleurs, dont certains pétroliers se sont fait les avocats.

Benjamin Louvet : Alors oui, c’est justement ce à quoi j’allais venir : Trump peut-il supprimer cette loi qui aide les énergies renouvelables ?
La première chose, vous le disiez, c’est que les pétroliers eux-mêmes n’y sont pas favorables. Darren Woods, le patron d’Exxon, a publié un article dans lequel il exhorte le président Trump à ne pas sortir de l’accord de Paris. Bon, ça, c’est raté, mais je dirais que c’est plutôt une mesure symbolique qu’autre chose.
Il l’appelle également à ne pas revenir en arrière sur l’Inflation Reduction Act, cette grande loi qui a permis le financement et la subvention des technologies bas carbone.
Pourquoi ? Parce que les pétroliers sont aussi parmi les premiers bénéficiaires de ces aides. Ils développent les technologies de capture et de séquestration du carbone, indispensables si l’on veut continuer à utiliser les énergies fossiles. Il faut pouvoir capter le carbone généré par leur combustion.

De plus, ils ont un grand besoin d’hydrogène dans leurs processus de production. En effet, pour produire du pétrole, il faut savoir que celui-ci contient souvent du soufre et doit être désoufré dans les raffineries. Pour cela, il faut de l’hydrogène. Et ils ont donc besoin de produire de l’hydrogène, de préférence propre. Or, cela se fait par électrolyse de l’eau, une technologie bas carbone.
Ils investissent également beaucoup dans ce domaine.

Darren Woods a ainsi déclaré : « On ne peut pas changer les règles tous les deux jours, sinon nous arrêterons d’investir dans ces technologies. Il faut maintenir le cadre. »
Trump n’a donc pas forcément les pétroliers avec lui, ce qui est un premier point.

Deuxième point : s’il veut modifier cette loi, il devra obtenir l’approbation du Sénat, ce qui s’annonce extrêmement compliqué.
Pourquoi ? Parce que même si Trump a la majorité au Sénat, pour changer cette loi, il faut une super-majorité, qu’il ne possède pas parmi ses alliés républicains.

Au-delà de cela, on constate que de nombreux républicains ne sont pas favorables à l’abrogation de cette loi. Pourquoi ? Parce que les États qui reçoivent le plus d’aides de l’Inflation Reduction Act sont majoritairement républicains, à commencer par le Texas. Les États ne sont donc pas favorables à sa suppression, les pétroliers non plus, et la population n’y est pas nécessairement pour.

Enfin, un autre élément est, selon moi, crucial dans l’approche de Trump en matière de politique énergétique : il ne peut pas ignorer que, quel que soit l’avis des États-Unis sur les énergies fossiles et leur volonté de continuer à les exploiter pour en tirer un avantage concurrentiel, la transition énergétique est enclenchée. Même si elle progresse moins vite aux États-Unis, elle est en marche à l’échelle mondiale.

Cela signifie qu’il existe des marchés économiques et industriels colossaux à développer. Ne pas soutenir cette industrie reviendrait à laisser le champ totalement libre à ses concurrents, notamment la Chine, qui domine largement ce secteur. Aujourd’hui, 80 % des panneaux solaires produits dans le monde viennent de Chine. Une grande partie des voitures électriques y sont fabriquées, ainsi qu’une proportion significative des éoliennes.
Les Chinois ont une avance considérable sur ces technologies. Ne pas soutenir l’industrie des énergies renouvelables aux États-Unis reviendrait à céder totalement ce marché à la Chine. Et je pense que ce serait une énorme erreur de la part de Donald Trump, qu’il ne peut pas se permettre d’ignorer.
Donc, on aura probablement une réorientation de la politique énergétique avec un soutien assumé, mais qui, en fait, ne sera pas tellement différent de ce qu’on a pu connaître par le passé, et peut-être une réallocation des politiques de soutien aux énergies renouvelables, de façon à se concentrer sur celles auxquelles le gouvernement croit.

Puis, il y a un autre point qui est extrêmement important et qu’il ne faut pas oublier : dans la politique énergétique des États-Unis, un autre élément va jouer. Les États-Unis sont une fédération d’États, d’accord, qui ont tous leurs propres règles et leurs propres lois. Ces États peuvent donc tout à fait décider de mettre en place des mesures de soutien là où Trump les supprimerait. D’ailleurs, c’est déjà le cas.

Trump a retiré les subventions aux véhicules électriques au niveau fédéral, mais la Californie a annoncé qu’elle maintiendrait ses aides afin d’encourager la transition vers les véhicules propres plutôt que vers les véhicules thermiques.
On a donc aujourd’hui de nombreuses raisons de penser que, contrairement à ce qui pourrait sembler évident au regard des propos très provocateurs de Trump, la politique énergétique américaine ne changera pas tant que ça.
Un chiffre illustre bien cette idée : selon l’Agence internationale de l’énergie, entre 2023 et 2035, les États-Unis ne représenteront que 9 % des capacités installées d’énergie renouvelable. Cela signifie que cette période dépasse largement la seule présidence de Trump. Et 9 %, finalement, ce n’est pas une part si importante. Ainsi, les conséquences des mesures que Donald Trump pourrait prendre, aussi extrêmes soient-elles, resteront relativement limitées par rapport aux dynamiques globales du gouvernement américain.

Le pétrole américain peut-il vraiment monter en puissance ?

Vincent Bezault : Revenons au pétrole et à la production. Cette exhortation à produire plus ne semble pas forcément trouver un écho favorable chez les producteurs. Depuis quelques années, Benjamin, et nous en avons déjà discuté, ces producteurs, qui autrefois ne visaient que la croissance, sont désormais sommés par leurs actionnaires d’obtenir des résultats et donc de dégager de la rentabilité. Or, forer davantage pourrait compromettre cette trajectoire de rentabilité.

Benjamin Louvet : Vous avez tout à fait raison. D’ailleurs, la plupart des grands pétroliers, après les déclarations de Trump affirmant qu’il souhaitait atteindre plus de 3 millions de barils par jour sous sa présidence, ont clairement indiqué qu’ils n’augmenteraient leur production que si cela était rentable pour eux.

Ce sont des entreprises avant tout, elles ne sont pas là pour faire de l’humanitaire, mais pour générer des profits pour leurs actionnaires. Actuellement, avec un baril stabilisé autour de 70 dollars, les marges restent relativement contraintes. La plupart des producteurs, notamment ceux du pétrole de schiste, dont on attend la plus forte augmentation de production, ont précisé qu’ils n’envisageaient pas de modifier leurs plans de croissance. Ils comptent rester sur une trajectoire de hausse de l’ordre de 5 % par an.

Un autre élément vient renforcer cette tendance : aujourd’hui, le marché pétrolier est bien approvisionné. On peut l’observer facilement : pour éviter une chute des prix, l’OPEP et ses alliés, dont la Russie, réunis sous l’appellation OPEP+, ont décidé de réduire volontairement leur production afin de stabiliser les cours.

Vincent Bezault : 3 millions de baril/jour

Benjamin Louvet : Oui. Cela représente environ 3 millions de barils par jour, soit environ 3 % de la consommation mondiale. Si cette production supplémentaire avait été mise sur le marché, les prix du pétrole seraient aujourd’hui bien plus bas.

Or, un facteur pourrait contraindre les producteurs américains à la prudence : la volonté croissante des pays de l’OPEP+ de remettre progressivement ce pétrole sur le marché. Ils estiment avoir largement contribué au maintien des prix et considèrent que ces restrictions entraînent une perte de parts de marché pour eux.

Ces derniers mois, plusieurs annonces ont évoqué la possibilité d’une reprise de la production, mais les échéances ont été repoussées en raison d’un marché encore trop approvisionné, ce qui aurait risqué de faire chuter brutalement les prix.
Toutefois, des signes de changement apparaissent. La Russie, par exemple, a indiqué qu’elle prévoyait de réintroduire progressivement sa production à partir d’avril. Bien qu’il y ait eu des rumeurs sur un éventuel report, Moscou a confirmé que cette échéance lui semblait raisonnable. D’autres pays de l’OPEP, ayant besoin de devises, souhaitent également vendre davantage de pétrole.

Ainsi, on peut s’attendre à ce que les prix du pétrole restent sous pression, ce qui ne favorisera pas une augmentation massive de la production de pétrole de schiste aux États-Unis.

Pétrole : des prix sous pression ?

Vincent Bezault : Donc, dans ce contexte, vous ne voyez pas, Benjamin, les cours du pétrole s’apprécier ?

Benjamin Louvet : Pas vraiment, parce qu’on a, comme je le disais, une marge de production disponible de la part de grands pays qui peut être remise sur le marché relativement rapidement. Et donc, cela milite pour un frein à la hausse des prix du pétrole.
En revanche, si un certain nombre de pays de l’OPEP, ou de l’OPEP+, devaient craquer et remettre de façon un peu anarchique ce pétrole sur le marché, cela pourrait pousser les prix du pétrole à la baisse. Donc, j’ai envie de dire qu’aujourd’hui, le risque est asymétrique sur ces marchés-là, et il est plutôt orienté à la baisse.

La seule chose qui pourrait faire monter le prix du pétrole aujourd’hui, ce serait une accélération économique extrêmement forte. Malheureusement, ce n’est pas vraiment ce que l’on voit venir dans les mois qui viennent. Nous avons donc plutôt un discours de prudence sur les prix du pétrole pour les mois à venir.

Le secteur pétrolier, un pari risqué en Bourse ?

Vincent Bezault : Cela signifie également que les perspectives boursières des grands groupes pétroliers restent plutôt contraintes ?

Benjamin Louvet : Oui, on a effectivement moins d’espoir de voir la rentabilité s’améliorer, sauf pour des groupes qui pourraient bénéficier de diversifications, comme c’est le cas pour certains groupes européens davantage orientés vers les énergies renouvelables. Dans ce cas-là, ils peuvent peut-être tirer parti de la volonté de développement que l’on observe en Europe.

Transition énergétique : comment investir ?

Vincent Bezault : Les perspectives du secteur pétrolier ne sont pas mirobolantes dans ce contexte. Revenons maintenant à la thématique de la transition énergétique. Pour vous, elle n’est pas morte ?

Benjamin Louvet : Non, elle n’est pas morte du tout, parce que je pense que la transition énergétique ne se limite pas aux États-Unis. Comme je le montrais tout à l’heure avec les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie, elle se déroule même essentiellement ailleurs qu’aux États-Unis, notamment dans un certain nombre de pays qui ont une réelle volonté d’accélérer sur ces sujets. Il y a donc beaucoup d’opportunités à explorer dans le développement de cette thématique.

Le problème que l’on peut éventuellement rencontrer, c’est que, lorsqu’on regarde les principaux acteurs de ce secteur, on constate qu’ils se trouvent essentiellement en Chine, ce qui ne facilite pas nécessairement l’accès aux investissements. Ainsi, si la transition énergétique est un succès, vous pourriez en bénéficier en investissant dans les valeurs de ce secteur. Cependant, vous vous retrouveriez à investir principalement dans des entreprises chinoises, ce qui pourrait être problématique.

On l’a déjà vu en 2010, lors de la première vague du secteur photovoltaïque, avec plusieurs faillites en Europe. Il est donc possible que certaines entreprises ne vous permettent pas de profiter pleinement de cette transition énergétique, alors même qu’elle se réalise.

Face à cela, notre réflexion a été la suivante : quels que soient les vainqueurs de cette thématique de la transition énergétique, qu’ils soient chinois, américains ou européens, ils auront besoin de métaux pour la mener à bien. Pour nous, l’exposition aux métaux nécessaires à la transition énergétique est peut-être l’un des meilleurs moyens d’investir sur cette thématique.
 
 

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