Biais rétrospectif, art divinatoire et investissement : sommes-nous doués pour prédire les cours de bourse ?

Biais rétrospectif, art divinatoire et investissement

L’art divinatoire fait partie de ces disciplines ancestrales qui, aujourd’hui encore, en 2025, posent question quant à la réelle qualité de leurs prédictions. Y a-t-il une science à l’œuvre si pointue qu’elle nous apparaît, à nous autres profanes, comme de la simple magie, ou s’agit-il simplement d’une escroquerie parfaitement rodée, transmise de maître à disciple depuis l’époque des Pharaons ?

Art divinatoire : entre mythe et réalité

Toujours au goût du jour, cette pratique continue d’alimenter les fantasmes des uns et la soif de réponses immédiates des autres. De Napoléon à Jacques Chirac, en passant par François Mitterrand, on se souvient qu’un grand nombre de personnalités publiques ont eu recours aux services de ces professionnels de la voyance. Étaient-ils en recherche de réponses ou simplement de confirmations ?
 
Naturellement, si le futur pouvait être prédit avec précision, il serait légitime de se demander pourquoi les voyants ne rencontrent pas davantage de succès, ou pourquoi leurs clients ne deviennent pas tous fortunés et puissants.
 
C’est une question que s’est posée Baruch Fischhoff au début des années 1970. Nouvellement intégré au programme de recherche sur les heuristiques et biais cognitifs initié par Amos Tversky et Daniel Kahneman aux États-Unis, il mène des études qui viendront apporter un regard objectif sur notre supposée capacité à prédire l’avenir.
 
Dans le cadre d’un séminaire, Baruch Fischhoff constata que des médecins prétendaient savoir, avant même que cela soit avéré, comment les différents cas médicaux allaient évoluer. Sans être voyants ou devins, ces médecins semblaient pourtant sûrs de leurs affirmations.
 
Fischhoff se demanda alors : « Pourquoi, si nous sommes si doués pour prévoir le futur, n’avons-nous pas plus de succès ? » Il affina ses recherches et aboutit en 1975 à la définition du biais rétrospectif, que nous allons explorer aujourd’hui.
 
En 1975, Baruch Fischhoff réalise une étude passionnante sur un groupe de 50 à 100 personnes. Les participants sont divisés en deux groupes, A et B.
 
Le premier groupe (A) est interrogé sur un événement quelconque, comme l’évolution du cours d’une action. Les membres du groupe doivent formuler leurs prédictions.
 
Leurs estimations sont ensuite collectées et comparées à celles du groupe B, qui, lui, a déjà connaissance de l’évolution réelle du cours de l’action.
 
Fischhoff demande alors aux participants du groupe B si, maintenant qu’ils savent que l’action a augmenté, cela leur aurait paru probable avant d’en avoir eu connaissance.
 
Autrement dit, voici à quoi aurait pu ressembler la question formulée par Fischhoff : « L’action cote 150€ mais ne cotait que 100€ il y a une semaine. Cette évolution vous semblait-elle probable ? À hauteur de quel pourcentage ? »
 
Sans surprise, Fischhoff constate que ceux qui connaissaient l’issue réelle (le groupe B) ont estimé la probabilité de cette hausse à près de 80 %, contre une estimation de 30 à 40 % par le groupe A, qui n’était pas informé de l’issue.
 
En d’autres termes, le groupe B a complètement surestimé la probabilité de l’évolution du cours de l’action. Les participants se sont persuadés, a posteriori, que cette trajectoire était évidente, simplement parce qu’ils en avaient connaissance. C’est ce qu’on appelle le biais rétrospectif : la tendance à surestimer nos capacités à prédire l’issue d’un événement une fois qu’il s’est produit.

Nous sommes tous devins… a posteriori

Nous avons tous vécu cette situation. Le fameux « Je te l’avais dit ». Pourtant, cette attitude revient à reconstruire un cheminement logique qui était, au départ, bien plus incertain.
 
Se persuader d’avoir été suffisamment clairvoyant pour anticiper tous les facteurs en jeu relève soit de la fantaisie, soit du hasard, soit d’une puissance de calcul insoupçonnée agissant en arrière-plan.
 
Avec le développement de l’intelligence artificielle et la croissance exponentielle de sa puissance de calcul, il est possible que de nouvelles formes de prédictions émergent. Mais en ce qui concerne les prédictions passées, il est fort probable que les voyants aient su tirer parti du biais rétrospectif, en fournissant juste assez d’éléments tangibles pour que leurs clients se persuadent eux-mêmes de la justesse de leurs annonces.
 
Dans le domaine de l’investissement financier, ce biais peut avoir des conséquences dramatiques. Une hausse soudaine du cours d’une action peut donner l’illusion qu’elle était prévisible. Ce raisonnement simpliste peut pousser à prendre des décisions impulsives basées sur une confiance exagérée dans l’analyse du passé.
 
Grisé, il devient tentant d’entrer sur le marché en pensant que la tendance va se poursuivre. Malheureusement, cette euphorie conduit souvent à acheter au plus haut, juste avant une chute.
 
Ce biais est particulièrement présent dans le cas du Bitcoin. Les prédictions d’une hausse à 200 000 $, 300 000 $, voire 1 000 000 $, se multiplient dès qu’un nouveau sommet historique est atteint, renforçant encore leur crédibilité apparente.
 
Il est essentiel de rester vigilant face au biais rétrospectif, qui limite notre perception aux seuls éléments facilement accessibles, nous empêchant ainsi de considérer d’autres scénarios susceptibles de contredire nos apparentes certitudes. En matière d’investissement, il ne s’agit pas de chercher des confirmations à nos intuitions, mais d’adopter une approche pragmatique, flexible et lucide, en restant attentif aux faits, quelle que soit leur orientation.
 

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