Biais du risque zéro : la lâcheté a un coût, et il est vertigineux !

Biais du risque zéro - aversion au risque

Dans nos sociétés modernes, il est souvent perçu comme sage et avisé de rechercher la sécurité à tout prix, de se prémunir face au risque, voire même de l’esquiver complètement, dans l’objectif presque admis de se protéger contre toute forme d’incertitude. À croire que cette dernière soit un mal en soi. 

Cependant, au-delà de l’irrationalité d’une telle peur de l’incertitude, puisque par nature, la vie est incertaine, la quête insatiable de sécurité, lorsqu’elle est poussée à l’extrême, peut engendrer des conséquences dramatiques, particulièrement dans le domaine de l’investissement. C’est ce qu’on appelle le biais du risque zéro, un mécanisme psychologique qui incite à fuir le moindre risque, au détriment de toute logique financière. Cette espèce de couardise, par laquelle on choisit l’option la moins risquée quoi qu’il arrive, a un coût vertigineux sur le plan financier. En effet, à force de fuir l’incertitude, l’investisseur se prive de la possibilité de faire fructifier son capital et se condamne à une croissance infiniment lente, voire inexistante, de son patrimoine financier.

L’aversion au risque et le coût de la sécurité

Dans leur étude historique de 1979, Daniel Kahneman et Amos Tversky ont démontré à quel point la peur de la perte est ancrée dans nos comportements, souvent bien plus que l’espoir d’un gain. Ces travaux se réfèrent au problème de Samuleson, un économiste renommé du XX° siècle.

À travers une expérience simple, Kahneman et Tversky ont montré que les individus choisissent systématiquement la certitude, même si elle leur rapporte moins que l’opportunité incertaine d’un gain supérieur.

Les participants devaient choisir entre deux options :

Option A (gain certain) : Recevoir 500 000 $.
Option B (gain incertain) : Recevoir 1 000 000 $ avec une probabilité de 50 %, ou 0 $ avec une probabilité de 50 %.

Calcul de l’espérance de gain pour chaque option :

Option A :
L’espérance de gain est simplement de 500 000 $ (car le gain est garanti).

Option B :
L’espérance se calcule comme suit :
EV(B)= 0,5 × 1 000 000 + 0,5 × 0 = 500 000 dollars.

EV = expected value

Mathématiquement, les deux options offrent la même espérance, soit 500 000 $. Pourtant, la majorité des participants opte pour l’Option A, privilégiant la certitude d’un gain immédiat plutôt que la possibilité d’un gain plus important, mais incertain. Cette préférence illustre parfaitement l’effet de certitude, où le sentiment de sécurité l’emporte sur une décision strictement rationnelle basée sur l’espérance de gain. Autrement dit, notre manque d’audace nous pousse à choisir des gains faibles et immédiats au détriment de gains potentiellement élevés et incertains. Dans le cadre de cette expérience, l’aversion au risque vous amène à renoncer à une opportunité de gain potentiellement plus élevée, mais aussi plus incertaine. , car en privilégiant la certitude, vous sacrifiez la possibilité d’un gain de 1 000 000 $, mais vous évitez également le risque de repartir avec 0 $.

La lâcheté dans l’investissement : un piège coûteux

Dans le monde de l’investissement, une telle expérience n’est pas rare : investir sur les marchés revient à confier une somme d’argent à un instant donné en espérant la voir croître avec le temps. Cela peut se produire, mais il est tout aussi possible que le capital soit entièrement perdu, sans le moindre espoir de le récupérer.

Investir revient donc à opter pour l’option B de l’expérience précédente : viser un gain significatif, ou risquer une perte totale. À l’inverse, l’option A consisterait à placer son argent dans un livret réglementé, sans risque, offrant un rendement très faible, mais garanti.

Ce biais du risque zéro, de l’aversion à la perte, que l’on nomme aussi le problème de Samuelson, se traduit par une forme de lâcheté stratégique qui se manifeste par une préférence systématique pour des placements sans risque. Beaucoup d’investisseurs préfèrent investir leur argent dans des produits jugés “sûrs”, comme un livret A, plutôt que d’oser s’aventurer dans des placements plus volatils, mais potentiellement plus rentables, tels que les actions en bourse ou l’immobilier. Ce comportement peut paraître prudent, mais, en réalité, il est coûteux, et son coût souvent à long terme, souvent vertigineux.

En choisissant des produits à faible rendement, les investisseurs renoncent à toute possibilité de croissance réelle de leur capital. Alors que les placements risqués, en particulier ceux basés sur des actions ou des fonds diversifiés, peuvent surperformer largement l’inflation et générer une plus-value significative, l’investisseur « poltron » s’enferme dans un cercle vicieux de rendements faibles, voire négatifs, sans autre élément factuel que l’apparente sécurité qui lui est promise. Sur plusieurs décennies, ce manque de prise de risque peut entraîner une érosion lente, mais certaine du pouvoir d’achat, une dévaluation du capital, et une incapacité à atteindre des objectifs financiers ambitieux, tels que la préparation à la retraite ou la constitution d’un patrimoine durable.

Selon les dernières données de la Banque de France, les dépôts des ménages s’élevaient à 1 889 milliards d’euros en août 2024, dont 685 milliards sur des livrets réglementés [Livret A, le LDDS (Livret de Développement Durable et Solidaire) et le LEP (Livret d’Épargne Populaire)]. Une majorité d’épargnants préfèrent laisser dormir cet argent plutôt que de tenter de le faire fructifier, et cela, au nom de la sécurité et de la prise de risque minimal. Mais la sécurité n’est parfois qu’une illusion. 

En cas de faillite bancaire, le FGDR (Fonds de Garantie des Dépôts et de Résolution) ne dispose pas des ressources nécessaires pour couvrir l’ensemble des déposants – la garantie étant fixée à 100 000 € par personne. Lorsque cet argument est avancé pour rassurer quant à la sécurité des dépôts, il convient d’y voir matière à débat, sachant qu’en décembre 2023, le FGDR ne détenait que 16 milliards d’euros d’encours. Théoriquement, cela signifie que seuls 160 000 épargnants pourraient être couverts simultanément à hauteur de 100 000 €.

Le manque de considération pour les marchés risqués, motivé par l’assurance d’être couvert par sa banque, apparaît donc clairement irrationnel, sans compter le coût d’opportunité lié à une exposition insuffisante aux actifs risqués par rapport aux livrets réglementés. En cherchant à éviter la volatilité du marché, l’investisseur opte pour la certitude d’un rendement faible et d’une sécurité partielle, sacrifiant ainsi la possibilité de faire croître son capital de manière significative.

Les conséquences à long terme : un avenir figé dans la stagnation

À long terme, ce biais du risque zéro peut avoir des effets encore plus dramatiques. Lorsqu’un investisseur privilégie des actifs peu risqués, il se prive non seulement d’une rentabilité accrue, mais aussi d’une diversification nécessaire. En se concentrant sur des produits dits « sans risque », l’investisseur met en péril la solidité de son portefeuille face aux changements économiques et aux fluctuations des marchés. En cas de crise, de stagnation économique ou de fluctuations inflationnistes, les placements sans risque ne suffiront pas à compenser les pertes réelles que l’investisseur subira sur la durée.

Sur ce graphique, vous pouvez observer une comparaison édifiante entre les rendements annualisés des actions, de l’immobilier parisien, des obligations en assurance-vie, du livret A et de l’or sur une période de 40 ans.

En matière d’investissement, l’inaction, la passivité ou le manque de prise de risque,  qui relèvent d’un  besoin irrationnel de sécurité absolue, présentent un coût immense. Le biais du risque zéro, loin de protéger l’investisseur, le prive de toute opportunité de croissance et l’enferme dans une stagnation lente mais constante, voire même une dévaluation de son patrimoine. À travers des choix sûrs mais médiocres, l’investisseur choisit de fuir l’incertitude immédiate sans mesurer l’ensemble des indicateurs, le tout au détriment d’un avenir financier pourtant meilleur.

Ainsi, même si la peur du risque est naturelle, elle doit être gérée avec sagesse. Dans le monde de l’investissement, la lâcheté a un coût, et celui-ci peut être bien plus élevé que n’importe quelle perte potentielle.

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