Les marchés financiers attendaient des baisses de taux significatives de la Réserve fédérale américaine (Fed) en 2024. Pourtant, l’institution semble refroidir les espoirs d’un assouplissement monétaire rapide. Avec Patrick Artus, conseiller économique auprès d’Ossiam, nous revenons sur les implications de cette posture monétaire pour l’économie et les marchés financiers.
La Fed base ses décisions sur un objectif d’inflation incluant les loyers imputés, un indicateur qui reflète des hausses théoriques et ne correspond pas à des dépenses effectives. Cette spécificité, absente dans d’autres grandes économies comme la zone euro ou le Japon, fausse l’évaluation de l’inflation réelle.
En excluant les loyers imputés, l’inflation américaine tombe à environ 2,5 %, un niveau qui pourrait justifier des baisses de taux. Cependant, en incluant ces loyers, l’inflation reste au-dessus de 3,5 %, empêchant la Fed de détendre ses taux. Ce biais méthodologique pourrait prolonger inutilement la politique restrictive de l’institution.
Patrick Artus estime que le potentiel de baisse des taux d’intérêt de la Fed est beaucoup plus limité qu’espéré par les marchés. En début d’année, les investisseurs anticipaient des réductions de 250 points de base, soit un retour à des taux directeurs autour de 3 %. Or, ce scénario est irréaliste compte tenu des fondamentaux économiques.
Selon l’économiste, les taux directeurs ne pourraient descendre qu’à environ 4,5 %, soit une baisse maximale de 100 points de base depuis les niveaux actuels. La Fed pourrait découper cette réduction en deux étapes : 50 points de base en 2024 et 50 points en 2025. Ce scénario est désormais intégré par les marchés, qui ont ajusté leurs attentes.
La réponse réside dans les contraintes structurelles de l’économie américaine. La Fed cherche à maintenir les taux à des niveaux au moins égaux à la croissance nominale de long terme, estimée entre 4,6 % et 4,8 %. Descendre en dessous de ce seuil serait perçu comme trop accommodant, et un risque de relancer l’inflation.
Malgré des taux élevés, l’économie américaine affiche une résilience remarquable. La demande intérieure continue de croître à un rythme proche de 2,5 % par an, un niveau en phase avec la croissance potentielle.
L’investissement des entreprises progresse de plus de 3 % par an, soutenu par des perspectives économiques solides. Le marché immobilier, pourtant sensible aux taux d’intérêt, montre également des signes de reprise. L’investissement résidentiel des ménages a bondi de 13 % en rythme annualisé au dernier trimestre, grâce à une normalisation progressive des conditions de crédit.
La liquidité abondante dans l’économie américaine joue un rôle stabilisateur. Depuis 2019, la liquidité disponible a augmenté de 50 %, un soutien significatif pour les marchés financiers. Malgré la politique de réduction de bilan de la Fed, la monnaie continue d’alimenter les investissements, notamment sur les marchés actions.
Les craintes liées à la fin du scénario « boucle d’or », combinant croissance et baisses de taux, semblent exagérées. La Fed n’est pas pressée de réduire ses taux, mais cette inertie ne constitue pas une menace immédiate pour les marchés financiers.
Patrick Artus souligne que les résultats des entreprises restent solides, ce qui soutient les valorisations boursières. De plus, la liquidité abondante limite les corrections même en cas de mauvaises nouvelles.
La prudence de la Fed reflète une volonté de garder des munitions en cas de récession future. Avec des taux d’intérêt qui restent proches du taux neutre, l’économie américaine s’adapte sans trop de difficultés à ce nouvel environnement.
Pour les investisseurs, cette situation impose de réviser les attentes : les baisses de taux drastiques ne sont plus à l’ordre du jour. Toutefois, les marchés peuvent compter sur une économie américaine robuste et des liquidités abondantes pour naviguer sereinement dans les mois à venir.