Patrick Artus, économiste conseiller économique auprès d’Ossiam, analyse les dynamiques du marché immobilier et met en garde contre un excès d’optimisme. Si la baisse récente des taux d’intérêt donne l’illusion d’une reprise, des facteurs structurels et conjoncturels, tels que la pénurie de logements ou l’influence des marchés américains, continuent de fragiliser ce secteur clé de l’économie.
Depuis l’automne 2023, les taux de crédit immobilier en Europe ont entamé une trajectoire descendante, passant de 4 % à environ 3,3 %. Cette baisse a redonné un peu de souffle aux transactions immobilières : en mars, les crédits immobiliers distribués ont atteint 10,1 milliards d’euros par mois, contre seulement 6,9 milliards au plus bas.
Pourtant, cette embellie pourrait n’être que temporaire. Patrick Artus souligne que les récentes hausses des taux longs en Europe, en partie liées aux marchés américains, viennent compliquer cette dynamique. Alors que les taux à long terme aux États-Unis augmentent sous l’effet d’anticipations inflationnistes persistantes, un effet d’arbitrage des investisseurs pousse les taux européens à rester élevés. Ainsi, les projections de taux sous les 3 % à l’été 2025 pourraient s’avérer trop optimistes.
L’inflation sous-jacente, qui exclut les variations des prix de l’énergie, joue un rôle crucial dans les orientations économiques. Dans la zone euro, elle s’établit à 2,8 %, un niveau encore éloigné de l’objectif des 2 % fixé par la BCE. Aux États-Unis, elle atteint 3,2 %, exerçant une influence directe sur les marchés européens.
Ce contexte complique la tâche de la BCE, qui devra maintenir des taux directeurs plus élevés que prévu. Alors que certains anticipaient un taux plancher de 1,75 %, les estimations actuelles le situent désormais autour de 2,25 %. En conséquence, l’impact positif attendu sur les taux de crédit immobilier pourrait être bien plus limité qu’espéré, freinant ainsi une éventuelle reprise du marché.
Au-delà des mouvements des taux, le marché immobilier français est confronté à des défis structurels profonds. L’effondrement des mises en chantier en est l’exemple le plus frappant : avec un rythme projeté de 250 000 nouvelles constructions en 2025, le secteur est loin des 500 000 nécessaires pour répondre à la demande. Cette situation contribue à alimenter une crise du logement social, avec plus de 2 millions de personnes en attente d’un logement, tandis qu’une partie du parc immobilier existant reste insalubre ou énergétiquement inefficace.
Les régulations environnementales, bien qu’essentielles, ajoutent une pression supplémentaire sur le secteur. En seulement cinq ans, elles ont augmenté de 20 % le coût des logements neufs. Ce fardeau économique est aggravé par des blocages politiques et administratifs, qui freinent les initiatives pour relancer la construction.
Contrairement à d’autres crises où les ajustements s’opéraient par une baisse des prix, la crise actuelle se distingue par une rareté chronique des biens immobiliers. En 2023, les prix ont diminué d’environ 5 %, mais ils restent 60 % plus élevés qu’en 2000 par rapport aux revenus moyens des Français. Cette pénurie génère des conséquences multiples : elle limite la mobilité professionnelle, freine le recrutement dans certaines zones géographiques et exclut une part croissante des ménages du marché immobilier. Le ralentissement des volumes de transactions met également en lumière l’ampleur du blocage actuel.
Pour Patrick Artus, il est urgent d’adopter une approche volontariste afin de combler le déficit de logements. Un rythme de 500 000 mises en chantier par an, concentré sur les zones à forte demande, semble indispensable. Cependant, les perspectives à court terme demeurent pessimistes : avec des taux d’intérêt européens susceptibles de repartir à la hausse et des contraintes réglementaires qui persistent, un redressement rapide du marché immobilier paraît hors de portée.