La croyance en un monde juste est l’idée qu’il existe une force invisible et objective qui ordonne les événements de manière à ce que les plus méritants d’entre nous finissent par rencontrer le succès qui leur est dû. À l’opposé, les criminels sont censés subir le châtiment en phase avec leurs exactions.
Cette croyance infuse tous les domaines et tout type d’individus. Aussi, il n’est pas rare d’entendre que quiconque travaille bien finira par obtenir des résultats, car cela semble logique et en ligne avec la méritocratie promise par cette force intangible qui œuvre dans les coulisses.
La croyance en un monde juste se décline aisément sur des sujets sociétaux et clivants comme les inégalités, les conditions de travail ou encore la richesse des plus fortunés.
Voilà bien une question que d’aucun s’est toujours posé : est-ce que la richesse se mérite ?
Vous êtes-vous certainement déjà demandé si les ultra-riches, comme ils se font appeler, méritent réellement leur fortune ?
D’après Guillaume Apollinaire, si ces mêmes ultra-riches sont des forcenés du travail, alors oui.
“Le travail mène à la richesse.
Pauvres poètes, travaillons !
La chenille en peinant sans cesse
Devient le riche papillon.”
Eh bien tout ça, en fait, c’est du bullshit !
D’après Didier Jacobs, économiste de la division USA d’OXFAM, les très grandes fortunes n’ont clairement pas été acquises au mérite.
Il a classé les 1645 milliardaires de 2014 d’après les données de Forbes en examinant la prévalence de certains facteurs non méritoires et a réparti ces facteurs sur une échelle allant du plus déméritoire au moins déméritoire.
Activités criminelles.
Copinage / Capitalisme de connivence.
Héritage.
Activités monopolistiques. Pour l’auteur, une entreprise en situation de monopole va profiter d’une aubaine complètement indépendante de sa volonté ou de son action, et elle va en tirer profit au maximum. Par exemple, l’effet de réseau ou l’enfermement propriétaire. C’est ce qu’Apple fait pour ses produits.
Mondialisation. Pour l’auteur, c’est une histoire de démographie et non de qualité entrepreneuriale.
Technologie. Là, il s’agit d’innovations qui ont profité à des secteurs qui n’en avaient jamais eu besoin auparavant. Par exemple, l’éducation n’a plus de frontières grâce à la technologie, donc son public cible grandit alors que l’exercice ne réclame pas plus de talent, de prise de risque ou de compétences pour réussir.
La conclusion de l’étude fut sans surprise…

Ce tableau vous montre dans quelle proportion les facteurs de démérite influent sur la richesse des 1645 milliardaires de la liste Forbes de 2014. Et dites-vous bien que le facteur chance n’a pas été intégré, car il n’est pas observable.
« La réussite, c’est d’abord et surtout d’être au travail quand les autres vont à la pêche.«
Philippe Bouvard
Mais alors, pourquoi continuons-nous à croire que les ultra-riches sont méritants et pourquoi sommes-nous continuellement abreuvés de ces discours sur la méritocratie ?
À cause du biais de croyance en un monde juste.
Décrit par le pychologue sociale Melvin Lerner dans sa monographie The Belief in a Just World: A Fundamental Delusion publié en 1980, ce biais est le reflet de notre tendance naturelle à croire en une forme de justice naturelle qui fait que les choses ont un sens, qu’elles sont équilibrées et rationnelles, et que, donc, un riche a forcément fait plus ou mieux qu’un pauvre pour se créer sa condition.
Cela semble logique et évident formulé ainsi, mais cela nous empêche surtout d’envisager tous les autres cas de figures, que peuvent être la chance ou le crime, pour n’en citer que les plus piquants.
Toutefois, M. Lerner insiste néanmoins sur le caractère fonctionnel de cette croyance en un monde sensé et rationnel. C’est l’un des piliers de nos civilisations, mais aussi de notre rapport au bien-être personnel. Cela ne signifie pas que la répartition des richesses entre les plus aisés et les plus pauvres relève de la justice.