L’homme, un animal rationnel à mi-temps

L’homme, un animal rationnel à mi-temps

« L’homme est un animal doué de raison », affirmait Aristote, l’illustre philosophe grec du IVᵉ siècle avant notre ère. Une maxime qui résonne encore, tant nous aimons nous imaginer comme des êtres rationnels, maîtres de nos choix et de nos décisions. Mais sommes-nous vraiment aussi logiques et cartésiens que nous le pensons ? La réponse, hélas, est souvent bien moins flatteuse. L’histoire humaine regorge d’exemples qui démentent cette prétendue rationalité, et la recherche contemporaine, notamment en économie comportementale, apporte des preuves tangibles de nos biais cognitifs.
 
Les limites de la rationalité humaine

L’économie comportementale, un domaine interdisciplinaire entre psychologie et économie, étudie précisément ces décalages entre nos comportements réels et les modèles classiques de rationalité. Parmi ses figures emblématiques se trouve Richard H. Thaler, prix Nobel d’économie en 2017. Thaler est célèbre pour ses travaux sur les biais cognitifs qui influencent nos choix financiers et pour ses anecdotes percutantes, qui illustrent à merveille les limites de notre rationalité.

La valeur perçue
 
L’une de ces anecdotes remonte à ses débuts en tant qu’enseignant. Lors d’un examen particulièrement difficile, les notes de ses étudiants étaient dispersées, avec une moyenne de 72 sur 100. Cette note moyenne, jugée trop basse, provoqua un tollé parmi les étudiants, qui se mirent à protester vivement. Conscient qu’un tel mécontentement pouvait nuire à son autorité et à la dynamique de la classe – un enjeu particulièrement délicat dans le contexte compétitif des universités américaines – Thaler choisit une solution astucieuse.
 
Au lieu d’assouplir ses critères d’évaluation, il opta pour une simple manipulation des chiffres. Lors de l’examen suivant, il annonça que la notation se ferait désormais sur 137 au lieu de 100. Résultat ? La moyenne passa à 96, et les étudiants furent enchantés. Pourtant, un calcul élémentaire aurait suffi pour comprendre que 96/137 équivaut approximativement à 70/100, soit une performance légèrement inférieure à la précédente moyenne de 72/100. Mais les étudiants, focalisés sur l’apparente hausse de leur note absolue, ne firent pas le lien. La satisfaction était là, portée par une perception biaisée et déconnectée de la réalité mathématique.
 
Cette simple astuce de présentation illustre un phénomène clé étudié par Thaler : la « valeur perçue« . Les individus, souvent incapables d’évaluer objectivement une information complexe, s’appuient sur des raccourcis cognitifs – appelés biais – pour simplifier leur prise de décision. La « valeur absolue » d’un chiffre, par exemple, l’emporte souvent sur son interprétation relative ou contextuelle.

Mieux décider sans se faire biaiser

Ce biais n’est pas qu’un cas d’école, il s’applique également à des domaines cruciaux, comme la gestion financière ou l’investissement en bourse.
 
Combien d’investisseurs novices achètent des actions simplement parce qu’elles « montent », sans évaluer leur véritable valeur intrinsèque ? Combien se laissent séduire par des rendements spectaculaires présentés en chiffres bruts, sans considérer les risques sous-jacents ou les performances corrigées de l’inflation ?
 
L’économie comportementale, en dévoilant nos biais, ne cherche pas à critiquer l’irrationalité humaine, mais à mieux la comprendre. Reconnaître ces biais comportementaux peut nous aider à adopter une approche plus critique face à nos décisions, qu’il s’agisse de gestion financière ou de choix quotidiens.

L’anecdote de Richard Thaler nous rappelle que notre perception peut être manipulée par des éléments contextuels et que ce phénomène touche potentiellement tout type d’individu. Cela souligne l’importance de la prise de recul, la nécessité de questionner nos intuitions et d’examiner les chiffres avec une vision plus globale.

Ainsi, à travers le prisme de la finance comportementale, il devient évident que nous sommes des animaux rationnels à mi-temps car nous privilégions trop fréquemment les demi-vérités et les analyses partielles au détriment d’une lecture avisée et d’un travail de discipline et de critique constructive.

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