Christian Auzanneau, analyste financier chez AlphaValue, fait le point sur l’immobilier d’investissement, un secteur en pleine tourmente. Entre rendements alléchants et risques persistants, est-ce vraiment le bon moment pour se repositionner sur les SCPI et foncières cotées ?
Depuis l’été 2022, le secteur de l’immobilier d’investissement traverse une crise profonde. À Paris, les prix des bureaux ont chuté de 7 % entre décembre 2023 et mars 2024 en termes nominaux, et les taux de vacances atteignent désormais 8,5 %. Si ce seuil critique de 10 % est franchi, des ajustements significatifs des loyers pourraient encore aggraver la situation.
Selon AlphaValue, les foncières cotées dans le secteur immobilier affichent des rendements de dividendes oscillant entre 3,31 % et 9,48 %, avec une moyenne de 4,36 % en 2024, et une augmentation prévue à 4,58 % en 2025. Pourtant, ces rendements ne suffisent pas à masquer la faiblesse du marché. Comme le souligne Christian Auzanneau, « le rendement ne dit pas tout ». Les bureaux parisiens restent particulièrement exposés à la baisse des loyers et à l’augmentation des taux de vacances, surtout dans des zones comme La Défense, où les loyers sont trois fois moins élevés qu’en centre-ville.
Les SCPI et les foncières cotées sont particulièrement touchées par la crise actuelle, en raison de la combinaison de la baisse des prix de l’immobilier et de la montée des taux d’intérêt. Ces deux facteurs exercent une pression croissante sur leur rentabilité et leur capacité à attirer les investisseurs.
Dans un effort pour limiter l’impact de la vacance des bureaux et des baisses de loyers, de nombreuses foncières proposent des promotions importantes, notamment des mois de loyers gratuits ou des conditions avantageuses pour les nouveaux locataires. Par exemple, certains contrats à La Défense offrent aujourd’hui deux années de loyer gratuit pour cinq années de location. Ces mesures incitatives, bien qu’elles permettent de remplir les bureaux vacants à court terme, réduisent considérablement les revenus nets des propriétaires, et par conséquent, les dividendes versés aux investisseurs.
De plus, la situation financière des foncières cotées ajoute une couche supplémentaire de risque. Avec des niveaux d’endettement pouvant atteindre 50 % de la valeur de leur patrimoine, ces sociétés sont particulièrement sensibles à l’augmentation des taux d’intérêt. Les coûts de refinancement de leur dette augmentent, ce qui réduit les marges et complique la redistribution des bénéfices sous forme de dividendes. Si la crise persiste, ces entreprises pourraient être contraintes de procéder à des augmentations de capital dilutives. Cela signifierait que les actionnaires existants verraient la valeur de leurs parts diminuer à moins de participer à ces levées de fonds, ce qui engendre des incertitudes supplémentaires.
Les SCPI, bien qu’elles soient réglementairement limitées dans leur recours à l’endettement, ne sont pas épargnées. La chute des prix de l’immobilier et l’augmentation des taux de vacances diminuent mécaniquement les rendements pour les porteurs de parts. De plus, certaines SCPI, particulièrement celles qui ont constitué leur patrimoine durant les années de surchauffe immobilière, doivent ajuster la valeur de leurs parts à la baisse. Cela crée un cercle vicieux, où la perte de confiance des investisseurs accentue la pression à la vente, rendant le marché encore plus illiquide.
En résumé, que ce soit pour les SCPI ou les foncières cotées, les risques restent nombreux : incertitudes liées aux taux d’intérêt, fragilité des rendements, et perspective de nouvelles corrections de prix. Pour les investisseurs, la prudence est de mise, car les opportunités semblent encore trop limitées face aux défis structurels auxquels ces acteurs font face.
La politique monétaire actuelle ajoute une couche d’incertitude. Même si une baisse des taux courts par les banques centrales est espérée, son impact sur les taux longs reste incertain. Or, ce sont précisément les taux longs qui influencent le financement des foncières et des SCPI. Tant que ces derniers restent élevés, le coût de financement des acteurs immobiliers continuera de peser sur leurs dividendes et leur capacité à attirer des investisseurs.
Christian Auzanneau insiste sur la nécessité d’attendre que le marché immobilier se stabilise avant d’investir. Il rappelle qu’« acheter lorsque les prix sont bas et les taux d’intérêt élevés » est souvent une stratégie plus judicieuse, car elle permet de renégocier le financement une fois les taux en baisse. Actuellement, les prix nominaux des bureaux parisiens sont revenus à leurs niveaux de 2017, mais la correction pourrait encore se poursuivre, comme ce fut le cas dans les années 1994-1997, où les prix avaient chuté de 50 %.
Cependant, d’autres signaux montrent que le marché reste fragile. Les taux de vacances augmentent progressivement, atteignant déjà 8,5 %, et le seuil critique des 10 %, souvent synonyme d’ajustement marqué des loyers, se rapproche. Par ailleurs, les loyers nominaux n’ont pas encore déclenché de reprise significative de la demande, notamment dans des zones comme La Défense.
Pour Christian Auzanneau, il vaut mieux patienter que de se précipiter dans un marché instable. « Mieux vaut investir avec la certitude que la correction est terminée, quitte à payer un peu plus cher, plutôt que de risquer des pertes dans un contexte d’ajustement encore en cours. »