La bourse américaine est-elle devenu risquée ? Entre la disparition de la prime de risque, la menace d’une remontée des taux et l’essoufflement de la thématique IA, Wall Street montre des signes de fragilité. Christian Parisot, président d’Altaïr Economics, décrypte ces tensions et leurs conséquences pour les investisseurs.
Vincent Bezault : Bonjour à tous et bienvenue sur Synapses. Notre invité du jour nous avait déjà mis en garde contre une vision binaire des marchés financiers, consistant à tout miser sur les États-Unis en délaissant le reste du monde. Aujourd’hui, il nous expliquera comment aborder le marché américain tout en mettant en lumière ses fragilités.
Cet invité, c’est Christian Parisot, président d’Altaïr Economics.
Vincent Bezault : J’aimerais débuter en évoquant la vulnérabilité actuelle du marché américain.
Christian Parisot : Un indicateur clé, bien connu des investisseurs, est la prime de risque sur le marché actions. Celle-ci mesure l’écart entre la rentabilité attendue des actions américaines et le rendement d’un actif sans risque, en général l’obligation d’État à 10 ans.
Logiquement, les actions doivent offrir un rendement supérieur aux obligations d’État, car elles sont plus volatiles et comportent un risque plus élevé. C’est un principe fondamental en finance : le risque doit être rémunéré.
Or, aujourd’hui, cet écart a quasiment disparu. Autrement dit, détenir une action américaine n’offre plus d’avantage en termes de rendement par rapport à une obligation du Trésor américain à 10 ans.
Vincent Bezault : Cela signifie que les investisseurs agissent comme si les actions américaines ne comportaient plus de risque, ou du moins qu’elles en présentaient un équivalent à celui des obligations.
Christian Parisot : Exactement. On pourrait penser que les investisseurs adoptent une vision très long terme, considérant que les actions resteront un meilleur placement que les obligations sur plusieurs décennies. Mais cela reste un élément préoccupant.
Nous avons déjà connu des périodes où la prime de risque est devenue négative, et ces épisodes coïncidaient souvent avec des bulles. Je ne dis pas que nous sommes en bulle aujourd’hui, mais cela souligne une fragilité.
Si les taux d’intérêt à long terme devaient remonter, le marché actions américain en souffrirait directement. Déjà, il est peu attractif par rapport aux obligations, mais une hausse des taux longs rendrait la détention d’actions encore moins incitative.
Vincent Bezault : Vous évoquez la sensibilité du marché aux taux d’intérêt. Or, l’inflation est précisément ce qui gouverne la politique monétaire et, par ricochet, les taux d’intérêt.
Christian Parisot : C’est là tout le paradoxe. Quoi que l’on pense de Donald Trump, sa politique économique tend vers une hausse des tensions inflationnistes.
– Il veut augmenter les droits de douane, ce qui renchérit le coût des importations.
– Il envisage des restrictions sur l’immigration, ce qui pourrait tendre le marché du travail et pousser les salaires à la hausse.
– Il souhaite stimuler la croissance, ce qui, à court terme, génère souvent une pression inflationniste.
Même si nous sommes loin des niveaux post-Covid, toute tension inflationniste pourrait conduire à une hausse des taux longs, ce qui serait très négatif pour la bourse américaine.
Vincent Bezault : Est-ce que la force du dollar ne permet pas d’atténuer le risque inflationniste, en limitant l’inflation importée ?
Christian Parisot : En effet, un dollar fort réduit le coût des importations et freine l’inflation. Cependant, si malgré une politique monétaire restrictive et un dollar élevé, la croissance américaine reste dynamique, cela signifie que l’économie fonctionne déjà à un rythme élevé.
Or, une croissance américaine robuste entraîne nécessairement une convergence vers la croissance potentielle, ce qui risque de générer des tensions sur le marché du travail et, à terme, une pression sur l’inflation.
Vincent Bezault : Le marché n’anticipe plus vraiment une baisse significative des taux par la Réserve fédérale. Pire, certains craignent qu’ils ne remontent en fin d’année. Est-ce un facteur de risque pour le marché obligataire et, par extension, pour la bourse ?
Christian Parisot : Absolument. Si la prime de risque était élevée, la bourse pourrait absorber une hausse des taux. Mais dans un contexte où cette prime est déjà négative, une simple remontée des taux de 30 ou 50 points de base aurait un impact majeur.
C’est pourquoi le seuil des 5% sur le 10 ans américain est scruté de près. Ce niveau constitue un point d’inflexion psychologique où les investisseurs pourraient juger que le coût du capital devient trop élevé, ce qui affecterait les valorisations boursières.
Vincent Bezault : La thématique de l’intelligence artificielle (IA), qui a longtemps servi de refuge aux investisseurs, semble aujourd’hui plus complexe. Est-ce un risque pour le marché ?
Christian Parisot : L’IA reste une révolution majeure, mais la question est qui en bénéficiera réellement.
Jusqu’ici, l’investissement était simple : quelques géants américains, des leaders incontestés, avec une croissance assurée. Cela permettait aux investisseurs d’accepter des valorisations élevées.
Aujourd’hui, la thématique devient plus sélective. Il faut différencier les vrais gagnants des perdants, ce qui augmente l’incertitude. Or, un marché qui manque de lisibilité devient plus volatil.
Vincent Bezault : On observe des flux massifs de capitaux étrangers vers les actions américaines. Est-ce une erreur ?
Christian Parisot : C’est un phénomène récurrent : quand les non-résidents se ruent sur la bourse américaine, c’est souvent un signal de sommet de marché.
Historiquement, ces phases coïncident avec des périodes où les actions américaines sont chères. Cela signifie qu’en cas de retournement, ces investisseurs pourraient retirer leurs capitaux rapidement, amplifiant la correction.
Vincent Bezault : On a longtemps recommandé d’investir dans les petites et moyennes capitalisations américaines, censées mieux profiter du dynamisme domestique. Mais la dérégulation favorise-t-elle plutôt les grandes entreprises ?
Christian Parisot : Exactement. Contrairement à l’idée reçue, la dérégulation ne favorise pas les PME, mais les grands groupes, qui peuvent mieux profiter d’un environnement concurrentiel plus libre.
L’exemple de Pepsi en est une illustration : l’entreprise a pu imposer des conditions préférentielles à Walmart sans être inquiétée par les régulateurs sous l’administration Trump. Ce type de pratiques bénéficiera aux géants, mais pénalisera les petits acteurs.
Synthèse
La prime de risque sur les actions américaines a disparu, rendant le marché très sensible aux hausses de taux d’intérêt.
Le risque inflationniste sous Trump pourrait pousser les taux à la hausse, aggravant cette vulnérabilité.
L’IA, autrefois moteur du marché, devient un pari plus risqué, nécessitant une sélection plus fine des gagnants.
L’afflux d’investisseurs étrangers est souvent un signal de sommet de marché.
La dérégulation favorisera les grandes capitalisations plutôt que les PME, contredisant certaines thèses d’investissement.
En somme, il ne s’agit pas de fuir le marché américain, mais d’y être plus sélectif et plus prudent.
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